Export : Acquérir une culture du risque dans l’entreprise
Pour ce qui concerne l’export, le contexte actuel est un peu compliqué. A-t-il changé avec l’arrivée de Trump ?
Compliqué, c'est un doux euphémisme. Est-ce à Trump que l’on doit ce changement ? Pas du tout. En fait, Trump est l’accélérateur d'un mouvement qui a commencé en 2008, consécutif à la crise financière. Depuis l'adhésion de la Chine à l'OMC, il y avait une accélération du commerce, des échanges, ce phénomène de globalisation, de mondialisation, peu importe comment on l'appelle. La crise financière a mis un stop à ce mouvement-là. Et depuis, les échanges ne s'arrêtent pas, mais ils stagnent.
Avec cette stagnation des échanges, s'imposent des règles de politique nationale qui vont vers plus de protectionnisme, vers une situation où on commerce entre blocs ou entre pays similaires. On parle beaucoup des tarifs avec Trump, mais en réalité, c'est un phénomène de temps long qu'on appelle la fragmentation et qui est fait pour durer.
Même Obama et Biden le faisaient. Trump, par sa posture, par ses discours, par sa rhétorique est un accélérateur des choses. On est entré dans une guerre de puissance entre les États-Unis et la Chine. Les premiers cherchent à maintenir leur place de première puissance et la Chine à la décrocher.
Dans ce contexte, quelle attitude doit avoir l’Europe ?
La vraie question, en réalité, c'est comment le monde se transforme à terme ? On n'a pas la réponse aujourd'hui. Les États-Unis et la Chine s'affrontent, et les Européens restent un peu au milieu.
Face aux États-Unis, qui ne jouent plus vraiment selon les règles, quelle direction prendre ? Faut-il tenter de bâtir un nouveau bloc d’économies encore attachées au libre-échange, mêlant pays émergents et économies développées, avec un rapprochement plus fort autour de la Chine ?
Est-ce que l'Europe est capable de s'allier ? Et cela passe nécessairement par la question de la défense : est-ce que l'on est capable de recréer une Europe à partir des enjeux de défense ? Ou au contraire, est-ce que l'Europe se divise, se morcelle ? C'est ce qu'on appelle la vassalisation avec certains pays qui se rapprochent plutôt du bloc américain, et d’autres, plutôt du bloc russe. À ce stade, il faut un sursaut européen qui passera probablement par une Europe de la défense. Mais cela va être extrêmement compliqué. Chaque pays aujourd'hui est dans une situation politique où il est davantage centré autour de ses problématiques intérieures plutôt que sur les problématiques européennes.
Pour revenir à nos entreprises locales... Pour celles qui exportent déjà, comment maintenir leurs exportations ? Et puis, pour celles qui voudraient se lancer, est-ce qu'il est plutôt urgent d'attendre ?
Non. Je pense que le premier point, c'est vraiment d'accepter et d'avoir en tête que le monde change et que c'est quelque chose qui va durer. Les questions sur les tarifs vont revenir, les conflits, les perturbations sur les chaînes de valeurs, les incertitudes… tout ça est fait pour durer. Il va falloir acquérir une culture du risque.
Le deuxième point : ce n'est pas parce que le monde est plus conflictuel, plus incertain, que les opportunités ne sont pas présentes.
Plus de 70 % de la croissance se fait sur les économies en développement, les économies émergentes. Et donc, si on veut aller chercher de la croissance aujourd'hui, avec des bons rendements, une bonne rentabilité, l'export est la solution !
Les économies émergentes ne sont-elles pas aussi des économies à risque ?
Il y a des opportunités de développement, mais, et je fais le parallèle avec le premier point sur les risques, il faut être beaucoup plus sélectif.
On rentre dans un monde dans lequel il y a des incertitudes économiques, géopolitiques et climatiques. Et donc il faut être beaucoup plus sélectif dans ses choix d'exportation.
Après, il y a de nombreuses économies qui ont de belles perspectives comme l'Inde, la Malaisie, le Vietnam, les économies du Moyen-Orient, etc. Ces économies-là ont du potentiel. En revanche, il faut les choisir suivant le risque.
Les PME pourraient être tentées de rester sur les marchés européens, est-ce une bonne idée ?
L'année prochaine, on a à peu près 1 % de croissance attendue en Europe. Des questions en termes de sécurité vont se poser, des taux d'intérêt qui petit à petit augmentent. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux aller vers des économies qui ont deux, trois voire quatre fois ce potentiel de croissance et donc de rentabilité ? Je pense que oui ! Aujourd’hui, l'Europe n'est pas la meilleure zone d’exportation.
Vous préconisez une approche complexe, mais de quels outils les PME disposent-elles pour la mettre en place ?
La première chose qui peut être faite, en interne, est une cartographie des risques. Identifier les partenaires principaux, leurs localisations et évaluer la fragilité des chaînes d'approvisionnement et d'exportation. Diversifier les partenaires et les pays si nécessaire.
Ensuite, je pense qu'il faut travailler sur différents scénarios, une dizaine par exemple, même les plus "fous" (pandémies, chocs climatiques, conflits majeurs comme un blocus de Taïwan, ou des tarifs américains très restrictifs pour l'Europe). Enfin, réfléchir aux conséquences (stocks, approvisionnements alternatifs, trésorerie, financement) pour être mieux préparé le jour où ces événements se matérialiseraient.
Pour les grandes entreprises, c’est faisable, mais pour une PME, c’est un gros investissement de se lancer dans cette démarche ?
En fait, c'est compliqué, mais il faut malheureusement prendre ce temps-là. On sait que des éléments disruptifs vont arriver. Mais aujourd'hui, faire fi de ces risques et se dire que je les gérerai le jour où ils arriveront, c'est le meilleur moyen d’être face à des difficultés insurmontables.
Les chocs vont se multiplier. Et c'est pour ça que je pense vraiment que la culture du risque et de l’anticipation doit devenir la culture d'entreprise, même pour les PME.
Il faut utiliser beaucoup plus les données dans le quotidien et dans la stratégie. Ça va nécessiter un changement de culture qui doit être porté par la direction pour légitimer la démarche. Mais c’est positif pour l’ensemble de l’entreprise.
Pierre-Jacques Provost
(1) Groupe de recherche économique indépendant basé en Bretagne.
Permanence Douanes
Besoin de faire un point sur vos procédures douanières internes (opérateur économique agréé, exportateur agréé…), optimiser les solutions douanes pour être plus compétitif, faire un point sur les barrières tarifaires américaines… la CCI vous propose de rencontrer vos experts douanes de la Cellule conseil aux entreprises du pôle d’action économique des douanes de Nantes, sous la forme de rendez-vous individuels d’une heure, le 9 décembre à compter de 10 h.
Inscription